116ème CONGRES DES NOTAIRES : Protéger ceux qui protègent

Lundi, 13 juillet, 2020
Chaque jour les questions de protection, de dépendance et de vulnérabilité sont évoquées dans les médias, dans des projets de loi, dans des rapports où à l’occasion d’une conférence. Notre société est en quête de protection. Nos lois en sont la preuve. Mais cette protection tant espérée est-elle au rendez-vous ?

Dans le domaine des personnes vulnérables, les textes, rapports et commissions se multiplient.

Citons par exemple :

-la loi du 5 mars 2007 qui a modifié la terminologie (on ne parle plus de majeurs incapables mais de majeurs protégés) elle a également réaffirmé la place de la famille dans les mesures de protection et elle a posé de nouveaux principes :

  • principe capacité des personnes,
  • principe de subsidiarité des mesures judiciaires
  • ou encore nécessité d’avoir une approche plus humaniste de ces questions

Autres textes :

  • l’ordonnance du 15 octobre 2015 qui crée l’habilitation familiale
  • la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement
  • la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice qui apporte notamment des modifications au mandat de protection future et à l’habilitation familiale.

Citons également :

  • la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par la France en février 2010
  • le rapport du défenseur des droits sur la protection des majeurs vulnérables, du 29 sept 2016
  • le rapport de la Cour des comptes de sept 2016 sur la protection juridique des majeurs
  • le rapport de mission interministérielle de décembre 2018 sur l’évolution de la protection juridique des personnes les plus vulnérables
  • le rapport sur les droits fondamentaux des majeurs protégés, celui sur le grand âge remis au gouvernement en mars 2019 et bien d’autres encore.

Il est donc évident que la dépendance et la vulnérabilité constituent un enjeu national.

Pourtant chacun peut constater que nos concitoyens se sentent mal protégés, démunis ou désemparés lorsqu’ils sont confrontés à la vulnérabilité d’un proche.

Il y a ici, à l’évidence, un problème d’information.

Evoquer les questions de vulnérabilité nous amène inévitablement à aborder 3 questions :

  • la première : est-ce que les personnes vulnérables sont biens protégées ?
  • la deuxième : est-ce que toutes les personnes vulnérables sont protégées ?
  • et la 3ème : est-ce que ceux qui protègent les personnes vulnérables sont eux-mêmes protégés ?

Avant toute chose, il faut avoir à l’esprit deux points importants :

  • le premier : nos besoins changent en même temps qu’évolue notre société et nos mentalités (ainsi par exemple le placement en maison de retraite est de plus en plus mal vécu par les personnes concernées et par leurs proches),
  • le second : L’allongement de l’espérance de vie entraine inévitablement une augmentation des cas de faiblesse

S’agissant de notre première question : quelle appréciation porter sur les mesures de protection mises en place pour les personnes vulnérables ?

Le rapport de la Cour des Compte de septembre 2016, précise que 800.000 personnes vulnérables sont concernées par une mesure de protection judiciaire.

Les informations fournies par ce rapport, celles provenant du rapport de mission interministérielle de décembre 2018 et celles issues des cas concrets auxquels les notaires sont confrontés au quotidien, permettent de faire plusieurs constats :

  • Le premier est que le principe de subsidiarité n’est pas toujours respecté.

Ce principe posé à l’article 428 du Code Civil prévoit que la mesure de protection judiciaire ne doit être ordonnée par le juge que si le Mandat de Protection Future ne peut suffire pour préserver les intérêts de la personne, et s’il n’existe pas d’autre mesures moins contraignantes.

  • Le deuxième constat est que malheureusement les personnes anticipent très peu la survenance de leur propre vulnérabilité ou celle de leurs proches.

Le Mandat de Protection future, mesure d’anticipation privilégiée par le législateur, reste très peu utilisé.

  • le 3ème constat est que parfois les mesures de protection qui sont mises en place se révèlent inadaptées ou trop rigides.

Il faut noter également que le panel des outils de protection est mal connu.

Rappelons simplement qu’il existe :

  • le droit commun de la représentation,
  • les mécanismes des régimes matrimoniaux (régime primaire et régimes communautaires),
  • les mesures judiciaires (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle),
  • le mandat de protection future, l’habilitation familiale (sous plusieurs formes),
  • le droit commun de l’indivision.

S’agissant de la 2ème question : est-ce que toutes les personnes vulnérables sont protégées ? 

Il nous faut prendre conscience qu’à côté des situations d’incapacité pour lesquelles une mesure de protection existe, notre société est confrontée à une autre difficulté : celle liée à l’allongement de la vie qui augmente les cas de vulnérabilité. La perte de capacité n’est pas toujours soudaine et définitive.

De plus en plus de personnes sont concernées par l’affaiblissement progressif de leurs facultés.

C’est ce que nous appelons la zone grise.

Les actes accomplis par ces personnes en état de faiblesse sont fragiles et présentent donc un risque pour les tiers contractants, mais aussi et surtout un risque de marginalisation passé un certain âge.

Protéger les vulnérables est plus qu’une nécessité, c’est un devoir dans une société civilisée et protéger ceux qui protègent l’est tout autant.

C’est ainsi que nous arrivons à la 3ème question : est-ce que ceux qui protègent les personnes vulnérables sont eux-mêmes protégés ?

Ce sont ainsi près de 11 millions de personnes (soit près de 15% de la population active) qui aident un proche en état de faiblesse ou de dépendance.

Face à la lourdeur des soins, l’attention et la disponibilité que cette assistance exige, nombreux sont les aidants qui se considèrent comme dépressifs.

Les aidants manifestent le plus souvent un besoin de soutien pour les décharger des tâches domestiques, mais la première difficulté est d’ordre psychologique et il existe peu de mesures d’entraide à ce niveau.

Devenir aidant entraine bien souvent un alourdissement des charges et des contraintes. Les soucis financiers, la fatigue voire l’épuisement sont fréquents.

La protection des aidants est ainsi devenue une cause nationale.

Depuis la loi d’adaptation de la société au vieillissement (28 décembre 2015) et son décret d’application, les aidants ont désormais un statut juridique qui devrait pouvoir leur apporter de l’aide.

Mais le baromètre 2019 de l’association France Tutelle, révèle que 58% des aidants familiaux ne savent pas qu’ils peuvent en bénéficier.

Pour conclure rappelons que le désir de protéger et le besoin de l’être sont inscrits dans chaque être humain.

Les notaires sont au cœur de ces préoccupations. Ils sont les témoins des attentes de nos concitoyens, mais aussi les acteurs de leurs réalités.