Lorsque confiné devrait rimer avec protégé

Lundi, 13 juillet, 2020

Par Jean-Pierre PROHASZKA - Président du Congrès

Le 17 mars dernier, en application de l’article 3 du décret du 23 mars 2020, la France s’est retrouvée en état de confinement.

Cette décision, aussi soudaine qu’inattendue, a été prise dans le but de protéger la population en évitant la propagation du covid-19 et en permettant aux hôpitaux de faire face à l’afflux de malades.

Cependant, être confiné ne signifie pas toujours être protégé. Encore faut-il avoir un logement et que celui-ci soit digne de ce nom. Il est en effet illusoire de penser que le lieu où l’on vit est systématiquement un refuge qui protège.

Selon la Fondation Abbé Pierre, en 2018, 4 millions de personnes seraient mal logées et plus de 100.000 seraient sans domicile.

Parmi les personnes ayant un logement, nombreuses sont celles qui vivent dans des conditions sanitaires et de sécurité inacceptables.

Les principales difficultés rencontrées dans ces logements non décents, sont les suivantes (la liste est loin d’être exhaustive) : surpeuplement, absence de salle de bains, absence de toilettes, pas d’eau chaude, pas de chauffage, logement trop petit, difficultés à chauffer, logement humide, logement bruyant.

En 2014 : 30% des ménages indiquaient connaître une de ces difficultés et 19% en déclaraient deux ou plus.

Par ailleurs il est régulièrement fait état de 800.000 logements manquants dans notre pays. Ce chiffre est déterminé en tenant compte du nombre, annoncé par la Fondation Abbé Pierre, de personnes sans domicile, de personnes hébergées et de celles vivant dans des « conditions atypiques ».

Pour que confiné puisse véritablement rimer avec protégé, il faut que chaque être humain soit en mesure de disposer d’un toit et que celui-ci soit conforme aux règles de décence et de sécurité.

La crise sanitaire qui frappe l’ensemble de notre planète et la dramatique situation dans laquelle se trouvent ceux qui ont l’obligation de rester chez eux alors qu’ils n’ont pas de domicile, ou que celui-ci présente des dangers pour la santé et la sécurité des personnes, impose de ne plus laisser le problème du logement au rang des difficultés que l’on évoque mais que l’on ne règle jamais efficacement en raison des tensions sociales que ce sujet engendre.

Dans une démarche d’amélioration, la première étape consiste à analyser la situation du logement en France puis à rechercher les raisons pour lesquelles tant de gens vivent sans-abris ou mal logés alors que notre pays comporte de nombreux logements vacants. Ce sera l’objet de notre propos.

La situation actuelle du logement et de ses occupants en France :

Les statistiques de l’INSEE (2017), les nombreuses enquêtes (notamment celle réalisée par le groupe Particulier A Particulier en 2013), et les chiffres publiés par le ministère des finances (dans le cadre du budget 2017), permettent de dresser un portrait du logement et de ses occupants tout en rappelant l’incohérence liée au nombre de biens vacants face aux nombreux sans-abris et mal-logés

De nombreux ménages français sont locataires de leur résidence principale.

Notre pays compte actuellement 67 millions d’habitants et plus de 35 millions de logements.

En 2007 le président de la république (Nicolas SARKOZY) avait annoncé l’objectif de 70% de ménages propriétaires de leur logement.

Au 1er janvier 2017, seuls 58% détenaient leur résidence principale.

Ce chiffre n’a pratiquement pas bougé. Ainsi aujourd’hui, près de 40% des ménages sont encore locataires.

Notons à ce sujet que la France fait partie des pays européens qui comptent le plus de locataires (selon les chiffres d’Eurostat, la moyenne européenne est d’environ 31%).

Les propriétaires bailleurs sont majoritairement des personnes privées et la plupart d’entre elles des particuliers « petits propriétaires ».

58% des locataires se situent dans le secteur libre et 42% dans le secteur social.

Les chiffres officiels estiment à 2,8 millions le nombre de bailleurs privés qui sont des particuliers.

Selon une enquête menée en 2013 par le groupe PAP, la moitié de ces propriétaires ne possèdent qu’un seul bien et 25% en possèdent deux.

La plupart des bailleurs (environ 2 millions) déclarent entre 0 et 5.000€ de loyers par an.

La France comporte de nombreux logements vacants.

La question du logement, dans notre pays, se caractérise par une situation paradoxale : d’un côté un nombre important de sans-abris et de mal-logés qui incitent à augmenter la production de biens à usage d’habitation et de l’autre de très nombreux logements vacants  (8,3% du parc de logements, soit 2,8 millions).

La publication de l’INSEE dans son tableau de l’économie française (édition 2017) révèle une explosion du nombre de ces logements depuis 2006.

Cette information est d’autant plus surprenante que l’augmentation constatée concerne des zones qui sont loin d’être désertées par les populations : 57% des logements vacants sont situés dans des zones réputées comme étant sous tension locative.

Les raisons du paradoxe : logements vacants versus mal-logés et sans abris

Sur les 2,8 millions de logements vacants, 35% le sont temporairement (inoccupation passagère entre 2 locataires ou travaux) et 65% le sont pour des raisons plus préoccupantes (difficulté pour vendre, difficulté pour louer, et selon l’INSEE 35% pour d’autres raisons !).

Parmi ces autres raisons, il convient de ne pas négliger les nombreux cas de logements qui restent vides parce qu’ils ne peuvent être mis à disposition des locataires en raison de leur état. Le coût des travaux de mise aux normes peut, en effet, être un obstacle pour le propriétaire qui ne veut ou ne peut les assumer.

Il ne faut pas négliger non plus la crainte qu’ont certains propriétaires de se retrouver dans le « tunnel » de l’impayé dont bien souvent on ne sort qu’après de nombreux mois. Le risque de devoir assumer seul la défaillance du locataire, sans disposer de réels moyens efficaces pour récupérer les loyers non réglés, constitue  indiscutablement un obstacle à la mise en location et à fortiori à la réalisation préalable de travaux.

Il convient alors, pour favoriser non seulement la mise à disposition d’un plus grand nombre de logement mais aussi l’amélioration de l’état des biens mis à la location, que les propriétaires ne soient pas dissuadés par la crainte du locataire défaillant.

Cette démarche doit avoir pour objectif de fournir au propriétaire une garantie satisfaisante en cas d’impayé. Cela pourrait être le cas avec la mise en place de procédures de recouvrement simplifiées si le locataire dispose par ailleurs d’autres biens ou des revenus suffisants, et subsidiairement avec la création d’une garantie financière de l’Etat qui prendrait la forme d’une réduction d’impôts à hauteur des loyers non réglés.

Les lois et procédures en vigueur dans notre pays ont pour objectif d’éviter à chaque personne  l’atrocité de devoir vivre dans la rue ou dans un logement qui ne respecte pas la dignité humaine.

C’est un choix de société qui s’impose à tous et il est louable.

Toute recherche de solutions pour inciter les propriétaires de logements vacants à faire les travaux nécessaires et à les louer, ne peut en aucune manière entrainer une diminution de la protection du locataire qui doit pouvoir vivre sans l’angoisse de la procédure d’expulsion.

Mais les arbitrages de notre société, aussi nobles soient-ils, ne peuvent avoir pour effet de laisser aux seuls propriétaires la charge d’en supporter les conséquences.

Rappelons que de nombreux bailleurs sont des petits propriétaires privés et que pour beaucoup de personnes âgées la mise en location de leur logement constitue la principale ressource permettant un départ dans une maison de retraite de qualité, qui ne sera pas vécu comme l’entrée dans un mouroir.